La musique d’
Electrelane dégage quelque chose d’unique. Sans que leurs albums n’atteignent jamais la perfection, ils regorgent de pics qui suffisent à créer une addiction chez l’auditeur friand de rock inventif. Que cela soit par accès de rage, tension larvée ou mélodies imparables, rien ne manquent pour convaincre. Ces quatre Anglaises débordent d’idées, ce qui leur permet d’évoquer plusieurs époques et artistes mythiques (en tête
Joy Division) sans jamais donner l’impression de tomber dans la redite.
The Power Out ne déroge pas à la règle. Plus apaisé que les autres albums du groupe, il dénote une orientation plus délibérément pop. Mais pas de risque ici de se cantonner à des schémas figés. L’imaginaire musicale d’
Electrelane est trop vaste pour ça et, surtout, les autorise à tenter de multiples combinaisons, souvent osées. Ainsi,
The valleys débranche les guitares pour s’inviter dans l’univers chorale. Un jeu de vocalise masculin/féminin déstabilisant, qui parvient pourtant à donner naissance à l’une des pistes les plus intéressantes de l’album. Avant cela,
Gone under the sea aura titillé le fantôme de
Joy Division, mariant nappes de synthés et lignes de guitares dans la lignée d’un titre comme
Atmosphere. Est-ce à dire que les quatre de Brighton se seraient assagies, épousant les contours d’une cold-pop atmosphérique en lieu et place de la furie post-punk qui les caractérise habituellement? Rien n’est moins sûr, les premières velléités reparaissant déjà dès la fin de
On parade. Quelques cris bien sentis dans le chant, rappellent qu’avec
Electrelane l’énergie rock n’est jamais bien loin. Mais les guitares sont un peu plus bridées tout de même, façonnant un background statique sur lequel les voix se lâchent (
Birds).
En effet, si le premier album du groupe était presque entièrement instrumental, le chant s’offre une place de choix sur
The Power Out. Pas toujours juste, lorgnant plus souvent du côté de la mélodie sucrée que de la rage, la voix de Verity Susman fait merveille, entre pose faussement naïve et apathie lancinante. Epaulée encore par les chœurs fragiles de ses comparses, ce chant glacé virevolte dans une tour de Babel à la maladresse affichée (on passe insensiblement de l’espagnol au français, toujours sur le même ton). L’instrumentation s’adapte à ce nouvel habillage vocal. La basse dicte le rythme, les guitares reculent le plus souvent vers les lignes arrières et un piano discret remplace les dérives des synthés. Malgré cela, la tension transpire à chaque instant, laissant perler la rage qui couve. L’hypnotique
This deed, par exemple, oscille entre mélodie inamovible et incises furieuses contenues.
En fin d’album
Love builds up rompt avec cette monotonie tronquée, pour un instrumental dans la lignée de
Rock It to the Moon, les synthés juste un peu plus domestiqués. Une rampe de lancement idéale pour
Only one thing is needed, ballade pop au tempo plus enlevé, ouvrant l’espace à un saxophone débridé qui préfigure l’orientation plus jazzy de l’ultime piste,
You make me weak at the knees. Un final à contre-pied, un oeil tourné vers ce qui précède et l’autre vers le futur, qui démontre bien le potentiel du quatuor.
En choisissant de mettre sous sourdine leur rage post-punk,
Electrelane n’en perdent pas pour autant leur énergie. Plus apaisée, elle se met alors au service d’une variété bienvenue, rompant avec l’aspect monolithique que rencontre leur musique dans la saturation. Un album pop hybride et multiple qui donne au groupe une place de choix dans la scène rock actuelle, entre revival maîtrisé et expérimental affiché. Une trajectoire en marge qui force le respect.
Chroniqué par
Christophe
le 06/01/2006