Après
Landscape : Possible, la trompettiste
Birgit Uhler récidive, persiste et signe
Landscape : Recognizable, toujours entourée de
Lou Mallozzi (platines, cds, micros, orgues, voix amplifiée) et
Michael Zerang (percussions à friction, sifflet à vent, xylophone démembré, appeau à oiseaux, metal, charley) comme pour actualiser l’abstraction du précédent effort, lui donner chair, un peu. Effort qui ne pousse pas le trio à ouvrir ses improvisations, à les faire sortir de leur état-limite : au contraire, l’effort des trois musiciens est toujours aussi extrême, proche d’une abstraction radicale et éprouvante, violente, rugueuse, en dépit de la plaisante diversité des instruments convoqués pour cet album. Si les trois musiciens disposent d’une matière un peu ample, c’est toujours pour la réduire, la faire tendre vers un point zéro, en survoler la surface : on se plaît à imaginer les enchevêtrements baroques auxquels aurait pu donner lieu l’instrumentarium dont disposent
Michael Zerang et
Lou Mallozzi, mais non, ce sera pour une autre fois.
Réduction est le maître mot : multiplier les instruments, mais pour mieux faire disparaître le son, pour ne pas faire advenir, ne pas donner lieu. L’effort du trio est clairement en prise avec une forme de stérilité, dans une lutte entre le foisonnement possible d’un son et son inexistence, sa biffure méthodique. Réduire le nombre de notes, non pour tendre au silence mais à la monotonalité (qui n’est pas la monotonie, bien sûr), la monotimbralité : même si la trompette de
Birgit Uhler sature, hurle, jette ses stridences sans crier gare, se torsionne, elle est le seul timbre à ne pas souffrir de traitement déconstructif, de démembrement à l’acide informatique. Le reste, clairement, est affaire de négation, de sabotage : il suffit d’entendre le traitement que subit les voix utilisées par
Mallozzi dans
Obscure Days et
Taming the nobility : découpées, cut-uppées, passées au travers d’effets divers, littéralement pulvérisées, devenues poussière de son, pour mettre au jour un centre invisible. L’effort sonore d’
Uhler,
Mallozzi et
Zerang tient de l’excavation, une excavation vaine, comme si, après des heures d’effort acharné, intense, physique – en dépit de son abstraction, cette musique demeure éminemment charnelle, corporéisée, elle râle, elle sue, elle geint, elle grince ; on éprouve le souffle qui passe dans la trompette, on sent les gestes qui président à la naissance du son – ne demeurait rien que quelques traces, quelques passage de souffles, effectivement : trompette, sifflet, appeau. Dans sa primitivité radicale, cette musique entre alors en résonance avec une forme de tribalité informelle, comme dans un retour à un âge extrêmement reculé (
An ancient scar on the terrestrial globe).Un moment où la musique existait sous la forme de sons produits de bric et de broc, sans mélodies, sans harmonies, dans le seul but de manifester des sommes d’énergies physiques qui seraient elles-mêmes la trace d’une recherche spirituelle. Malgré l’aridité, et la physicalité de leur effort, il n’est pas dit que la musique du trio ne soit pas entrée dans un sol avant tout céleste, spirituel.
Chroniqué par
Mathias
le 06/01/2006