C’est une énigme, de celles qui rendent le monde de la musique intéressant ou drôle, comme on voudra : comment le batteur d’un des groupes de rock parmi les plus sérieux, indépendants, militants et musicalement influents de ces dix dernières années —
Godspeed You ! Black Emperor —, peut-il faire ce genre de musique électronique entre bidouillages sonores artisanaux, jungle, néo-disco, punk digital, drum ‘n’ bass, dub et expérimentations délirantes ? Comment peut-on être à la fois Aidan Girt avec
GY !BE et Aidan Girt avec
1-speed bike ?
Chez
1-speed bike semble régner un esprit de totale absence de sérieux auquel se mêlent des prises de position politique à ce point au premier degré qu’elles finissent elles-mêmes par être perçues comme de vastes plaisanteries. Il suffirait, pour s’en convaincre, de lire d’un trait la liste des titres de l’album : sorte de poème dada écrit par un teenager perdu dans des substances qu’il aurait expérimentées une fois de trop.
Tout ceci prêterait seulement à sourire si le résultat n’était pas particulièrement réussi. Les mixes, remixes, samples de son propre jeu de batterie, explorations en tout genre de
1-speed bike n’épargnent rien, pas même les compositions de ses camarades d’
Hrsta (
Some people know how to roll when they fall off a bike (Hrsta remix) et
The ground is really unforgiving when you fall (Hrsta remix)). Le tout agrémenté d’interventions vocales au cours desquelles Aidan Girt expose ses vues sur la politique de l’administration Bush et ses alliés d’une manière dont il a seul le secret (« I am a believer in truth and justice like motherfuckin’ Tony Blair — I am the sound of a fart from Barbara Bush’s ass at the Easter dinner table », si l’on en veut un exemple extrait de
El Gallito Intro).
Enchaînées comme un dj-set les plages qui constituent
Someone told me life gest easier in your 50’s culminent dans ce saccage frénétique de la musique disco, cette parodie de la techno, cette folie breakbeat qu’est
Will death stop Lenny Kravitz ego ?. Irrévérence poussée à son paroxysme dans une sublime pantalonnade. C’est dans cette inexplicable tension — inexplicable parce qu’il est difficile de comprendre comment on peut aussi bien maîtriser son sujet, sans être révolutionnaire pour autant, et être à ce point enclin à un délire verbal qui frise le ridicule — que réside le charme dépourvu de toute subtilité de
1-speed bike. Une plaisanterie, bien sûr, mais une plaisanterie si bien tournée qu’elle a quelque chose de captivant et de mystérieux.
Chroniqué par
Jérôme Orsoni
le 28/12/2005