Disque de musique électro-acoustique hantée et écrite sous l’égide de trois figures tutélaires de la musique contemporaine (
Iannis Xenakis,
Karlheinz Stockhausen et
John Cage, chacun se voyant dédier une pièce du présent disque),
Et Ses Apparitions se présente comme une œuvre d’interprétation de celle des autres, texte issu de la traduction d’autres textes. A la base du projet, la volonté de « présenter ce qui est inaperçu, infiniment enfoui et prélevable, dans une matière quelconque, une œuvre
déjà finie par quelqu'un d'autre, au travers d’une aussi infinie possibilité de traductions » : cette autre infinie possibilité de traductions, c’est le disque que nous avons là, lui-même traduction d’autres œuvres dans une chaîne infinie de traductions, de transmissions.
Qu’
Edgar Olivier Charles parle de sa musique et de ses pratiques intertextuelles en termes de traductions doit nous pousser à comprendre que pour lui, la musique est affaire de langage avant d’être affaire de sons, et qu’elle suppose que chaque œuvre soit un texte écrit dans un idiolecte propre à son créateur, à partir de timbres, de textures, de syllabes : à partir de sons. Et que donc, si la musique électro-acoustique est affaire de recherches sonores, elle demeure une écriture : composer le son, mais aussi composer les sons entre eux. Ecriture
a priori irréductible aux autres puisqu’elle demande à être traduite par d’autres œuvres, un peu comme Borges se fait l’écho d’autres livres dans ses propres livres, parce que ces derniers vivent des autres. Il y a donc comme un jeu d’échanges entre l’écriture d’
Edgar Olivier Charles et celle des autres, un jeu de traduction, de production systématique de texte à partir de textes supposés réels ou apocryphes (
Edgar Olivier Charles a-t-il samplé des partitions de Karlheinz, John ou Iannis ? A-t-il cité leurs partitions ? Nul ne le sait, mais c’est à supposer), au fondement de l’écriture.
De telle sorte que les ruines sonores dans lesquelles nous entrons dès lors que le disque tourne (ces textures granuleuses, ces vents comme autant de voix lointaines) se livrent comme des ruines habitées, hantées par des ancêtres qui vont alors parler par la voix d’
Edgar Olivier Charles, écrire par sa main. Si de musique électro-acoustique il s’agit, elle est fortement teintée d’
ambient : pas de geste musical brusque, pas de ruptures ou d’intrusions instrumentales violentes dans la trame sonore, mais un océan de sons, des conditions climatiques, tantôt légères tantôt massifiées en nappes denses à l’extrême, et qui glissent les unes sur les autres, écriture musicale élaborée à partir d’autres écritures et qui se mêle à elles. Cette chaîne ininterrompue d’écritures, ce texte continu qui s’élabore et dont celui-ci n’est qu’un fragment qui figure la totalité par métonymie, fond en lui tous les compositeurs, les rend à l’anonymat, à l’état de fantômes porteurs de promesses, d’œuvres à venir. Car, si l’on en croit
Edgar Olivier Charles, « le vrai sens d'une partition ou d'un instrument ou d'un corps sexué est un texte à venir. » Il ne vous reste plus qu’à prendre le relais, auditeurs, musiciens.
Chroniqué par
Mathias
le 01/12/2005