Figure complexe et protéiforme,
Mayo Thompson, leader de
The Red Krayola seul ici avec
Jesse Chamberlain à la batterie, est un homme difficile à saisir, tête pensante d’un collectif post-psychélique mais proto-punk, auteur de textes tour à tour politiques, narratifs ou proches d’une poésie surréalisante, acoquiné avec l’art conceptuel et les trublions d’Art & Language (Mel Ramsden et Michael Baldwin en tête), volontiers marxiste et philosophe (il est lecteur d’Horkheimer, Marcuse et Freud), redécouvert enfin au cours de ces dix dernières années par les avant-gardes du post-rock à tendance psyché-folk que sont
David Grubbs,
Jim O’Rourke et
John Mc Entire qui enregistrent un disque éponyme avec lui.
Ce live, enregistré il y a presque trente ans au Bataclan par Jean-Pierre Turmel, qui le publie sur son propre label
Sordide Sentimental (saluons au passage leur résistance forcenée à toute forme d’uniformisation), est donc l’occasion de faire plus ample connaissance avec le monsieur, dans des conditions qui assurent, par rapport aux albums, un surcroît de frénésie musicale.
On y découvre donc ces étranges morceaux navigant entre psychédélisme (les structures labyrinthiques, digressives) et punk no-wave (l’incroyable aridité des guitares et des riffs, les chants sur la brèche et sur le fil), musique où les structures se font et se défont en temps réel, à la limite de l’improvisation, aucunement préoccupée des schémas rock traditionnels : la digression prime toujours le binome couplet-refrain, que ce soit dans le chant à contretemps comme dans le jeu instrumental lui-même, la guitare de
Thompson cherche volontiers la dissonance, le défaut d’harmonie, se désaccorde volontairement parfois. Quelques années avant
Sonic Youth, en un style plus sec tout de même,
Mayo Thompson compose déjà un rock en fragments et free, qui privilégie l’expression (au sens que
Coltrane donne à ce mot : pure jaillissement d’énergie musicale), lançant en contrepoint sa voix parlant-chantante sur ses longues tresses de guitares en feu. Ici, plus haletant que jamais,
Thompson enterre et ressuscite le psychédélisme sous une forme punk, ou n’en est pas loin, en tous cas, il tente l’entreprise, et c’est bien tout ce qui importe.
Une volonté de table rase tangible à chaque instant, jusque dans le dépouillement ascétique / critique auquel parvient par endroit ce live : peu de tours de force, non plus de virtuosité, mais des morceaux lancés à toute vitesse, en toute urgence, en toute incandescence, comme s’il fallait les accomplir au plus tôt, achever en hâte leur forme afin qu’ils demeurent ouverts, en vie, pas trop ouvragés ni trop pensés, et gardent en eux cette énergie qui réside avant tout dans la force du trait, du geste. C’est là qu’interviennent, probablement, les conditions d’enregistrement de ce concert, capté avec les moyens de l’époque, qui ont fatalement oblitéré un peu de l’ampleur du son tel qu’il a dû être pour un instant : et pourtant, si l’on se souvient du peu de moyens avec lesquels on été réalisé les albums de
The Red Krayola, il est permis de penser que, peut-être,
Mayo Thompson est resté fidèle à son éthique jusqu’au bout, jusque dans la qualité sonore un peu entamée, brute et sans raffinement aucun sous laquelle nous découvrons aujourd’hui ce concert. Autant dire qu’il a magistralement réussi son coup.
A noter également, le packaging soigné sous lequel se présente ce live, accompagné d’un livret au format A4 contenant texte et photos, le tout en édition limité à 500 exemplaires.
Chroniqué par
Mathias
le 14/11/2005