Deux ans après l’incroyable
You forgot it in people,
Broken Social Scene sont de retour, plus nombreux que jamais (le collectif se compose de 17 musiciens pour ce disque, sans compter les divers featurings), bien décidés à offrir un digne successeur à ce deuxième opus unanimement acclamé. Pour faire bref, ce nouvel album éponyme (agrémenté d’un EP de 7 titres dans son édition limitée) n’est pas une utopique tentative de redite de son prédécesseur. Plus produit et complexe, il possède un potentiel tubesque moindre, fait la part belle aux expériences diverses, mais perd fatalement de son immédiateté, se présente comme un album long en bouche. De là à parler d’un album déceptif il y a un pas, que l’on se refusera pourtant à franchir.
Ne pas se fier aux premières mesures acoustiques de l’initial
Our faces split the coast in half. Le morceau déploie ensuite un habillage pop ambitieux, fait de cuivres et d’une rythmique débridée, pimenté encore de quelques samples vocaux. Oscillant entre unissons et parties plus dépouillées, l’instrumentation laisse peu de place aux voix de
Feist et de Murray Lightburn (chanteur de
The Dears), invité ici. Plus direct,
Ibi dreams of Pavement rappelle quelque peu les compositions du groupe de
Stephen Malkmus, tout en y insufflant la présence instrumentale massive de
Broken Social Scene. Plus mélodique et moins ample,
7/4 (shoreline) permet au groupe de retrouver ce qui faisait le charme de
You forgot it in people, une pop immédiate et exigeante, prompte à fredonner, jusqu’à un final plus saturé. Et c’est là sans doute tout l’effet déstabilisant de ce nouvel album.
Broken Social Scene refusent d’en rester aux schémas qui ont fait leur renommée, en profitent pour s’envoler vers des constructions sonores complexes et ampoulées. Plus ambitieux, ce parti-pris souffre pourtant d’une homogénéité trop évidente, rompant avec l’impression de richesse de l’album précédent.
Mais si le résultat peut laisser perplexe par moments, il permet tout de même de belles réussites, pour une nouvelle définition du format pop. Ainsi,
Windsurfing nation, chanson à tiroirs multiples, varie de passages instables et triturés à une mélodie de base emmenée par une rythmique tonitruante. L’occasion aussi de confronter la voix de
Feist au flow de
K-OS, rappeur canadien qui se joint ici au groupe, pour un cross-over du plus bel effet. Comme un funk au ralenti, le très beau
Hotel aime aussi à se perdre dans des méandres urbains étranges, jusqu’à ce que les cuivres laissent la place à une mélodie folk plus dépouillée dont le gimmick final rappelle l’univers développé en solo par
Feist. Mais le meilleur exemple du travail de composition et de production de ce nouveau
Broken Social Scene est sans doute l’ultime piste du disque,
It’s all gonna break. Démarrant dans le calme, l’instrumentation répond aux impulsions de la voix, s’étoffant à mesure qu’avance le chant. Après une première partie au format tout à fait rationnel, la prise de pouvoir des cuivres transforme ce morceau en une escalade pop allongée, où à la mélodie s’adjoint une batterie stakhanoviste dopant ce final jusqu’à atteindre une rupture simili-coda, martiale et affirmée. Un dernier titre de près de dix minutes, amenant la pop de
Broken Social Scene vers des structures étirées et ambitieuses, à la complexité sans doute trop avouée pour séduire tout à fait l’amateur de l’efficacité mélodique passée.
Disque ambivalent, à la fois celui des ambitions réalisées et de la transition, cet album éponyme présente
Broken Social Scene sous un jour paradoxalement plus transparent. En effet, l’identité multiple du groupe et son statut de collectif sont ici revendiqués et assumés, cherchant à en découdre dans l’optique de façonner un univers propre, reflet de toutes les tendances présentes. Déstabilisant de prime abord, cette collection de nouveaux titres parvient pourtant à gagner le cœur de l’auditeur par petites touches fonctionnant comme des portes ouvertes pour mieux pénétrer ce nouvel opus. Quant au EP qui accompagne l’édition limitée de l’album, il se révèle la clef nécessaire pour saisir les diverses directions envisagées depuis
You forgot it in people, et dévoile surtout une curiosité bienvenue avec une version alternative (plus rapide) du
Major label debut de l’album, point de comparaison idéal pour mesurer le chemin parcouru.
Chroniqué par
Christophe
le 09/11/2005