Avec
Remembranza,
Murcof nous offre peut-être sa Madeleine de Proust à lui, transposée dans le champ musical : à savoir la traduction sonore de sensations associées à des souvenirs intimes, « remembrance » faite album, devenue empreinte de ce reflux d’un passé singulier universalisé par le médium musical. Une sorte de bande-son mémorielle singulière, mais qui devient nôtre par le passage de témoin du créateur au public.
Une musique en archipel, formée de petits îlots sonores cernés de silence, qui rappelle, si l’on peut oser le parallèle, la puissance cosmique des aphorismes de René Char (
Fureur et Mystère). Cette économie majestueuse,
Murcof la déploie avec ce sens de l’architecture sonore que l’on avait déjà pu constater dans ses précédentes œuvres. Un canevas qui n’a pas beaucoup varié (on aurait peut-être espéré quelques surprises), mais qui encore une fois, ravira les amateurs de cette electronica ambiant infectée d’atmosphères ombrageuses, dont
Murcof se fait le scénographe averti.
Comme sur son premier album
Martes, il met en route des micro-rythmes façon techno minimale, pour mieux les avorter: interruptions, relances, forment la trame pulsatile profonde de cette musique, sur laquelle se greffent des arrangements instrumentaux souvent somptueux. En témoigne
Rostro, une des merveilles de cet album : quelques notes de piano en ouverture, relayées par une mélodie au piano plus appuyée, tandis qu’un beat sourd fait son apparition ; respiration, puis relance du motif. Le beat s’affirme progressivement dans ses variations infimes, tandis qu’un violon s’invite sur trois notes , devenant le leitmotiv mélodique de premier plan du morceau. A partir de ces éléments, auxquels s'ajoutent des glitchs satellites,
Murcof crée une superbe pièce, faite de ruptures et de reprises du motif, instaurant une intensité émotionnelle qui va croissant. Très homogène, l'album se déploie ainsi à travers des morceaux souvent construits sur le même modèle, mais dont les variations subtiles sont autant de mises en relief sonores propices aux digressions de l'esprit qui s'en imprègne.
Ce nouvel album est une remarquable chorégraphie d’affects, figuration d’ un passé faisant retour sous la forme de sensations retranscrites en un click’n’ cut orchestral hanté de décharges sonores inquiétantes ou lumineuses, traversé d’éclats de cordes lyriques pour dramatisations fulgurantes , énorme cœur battant la mesure d’une dilatation de l’espace et du temps.
Remembranza, très digne successeur de
Martes et de
Ulysses (compilation de remixes et d'inédits), est un bel album de musique électronique contemplative, toile nocturne idéale sur laquelle projeter nos images intimes.
Chroniqué par
Imogen
le 30/10/2005