Winter kept us warm est le disque qu’aurait dû signer
Tortoise après
Standards. Plus brut et moins policé que son référent, il n’en possède pas moins les vertus du groove rythmique et des lignes mélodiques faussement simples. C’est possible. Mais, ce n’est rendre hommage ou justice ni à l’un ni à l’autre. D’une part, parce que
Standards est un album auquel il est difficile de succéder. D’autre part, parce que
Once We Were mérite qu’une simple comparaison, aussi élogieuse soit-elle.
Imprégné de ce “post-rock” tendance
Tortoise, le trio a son esthétique à laquelle la video de
Em, réalisée par le guitariste du groupe : Ulf Christofferson, offre un accès direct. Noir & Blanc et images de mauvaise qualité de rigueur — négatif légèrement apparent — ombre du caméraman qui apparaît, fugitive, au détour d’un plan. Une plage, une blonde, des vagues. Elle construit un château de sable que la mer finit par détruire alors qu’elle s’en va. Entre kitsch et avant-garde. Pas même une anecdote, tout juste une histoire, pas un film de vacances, mais quelque chose qui s’en inspire pour montrer quelques instants de la vie. Quelque chose de simple en guise d’aboutissement de recherches. À l’image de la musique.
La musique de
Once We Were est un oxymore conforme à ce paradoxe qui la nomme le temps d’un EP : “L’hiver nous a tenu chaud”. Il n’est cependant pas tant question de température, comme on l’imagine, que de dépouillement et d’ampleur. Les deux guitares et la batterie qui constituent le trio, enrichies parfois d’un xylophone léger ou d’un piano qui se contente de plaquer des accords et des notes de passage (
Sleepless nights…In silent traffic et
The heart asks pleasure first), minimales, sinon minimalistes, n’en dispensent pas moins une musique sui sait être vaste. Il n’y a rien, ou presque, c’est-à-dire pas d’effets pompiers, effets qui masquent souvent, et bien mal en général, un vide absolu. Rien d’assourdissant, simplement l’essentiel ; des guitares qui fonctionnent en contrepoint l’une de l’autre, ne se cherchant pas, mais œuvrant dans des registres différents (rythmique vs. soliste) tout en regardant dans la même direction (la constitution d’une même trame mélodique) (
The heart asks pleasure first). La batterie jouit, comme en contrechamp de cette dualité de guitare, d’une certaine liberté dont elle joue avec retenue (
Em).
Disque muet (à l’exception de quelques mots chantonnés à voix basse sur
Em),
Winter kept us warm s’achève sur le déploiement des traits de caractère de la musique de
Once We Were.
And then he said goodbye, manière d’au revoir “post-rock”, parle malgré son mutisme, faisant entendre clairement dans chacune de ses multiples phases une intention différente. C’est dans ces moments-là qu’une musique qui n’est pas essentiellement originale reste cependant intéressante : lorsqu’elle parle d’une voix claire et sans emphase, d’une voix qui sonne juste.
Chroniqué par
Jérôme Orsoni
le 21/10/2005