Dans tous les domaines, quelques vies brèves auront su être alertes assez tôt pour pallier le manque de temps nécessaire à la réflexion sage. Concernant le jazz, les destins de
Bird,
Coltrane ou
Dolphy, trouvent un écho de fulgurance chez
Krzysztof Komeda, reconnu surtout pour les musiques qu’il signa pour les premiers films de Roman Polanski.
Un cinéma utile à la musique, les bandes originales du
Couteau dans l’eau et, surtout, de
Cul-de-Sac imposant d’aller chercher derrière un nom parmi d’autres au sein des génériques. Apprendre alors, qu’avant elles,
Komeda avait emmené un quintette de choix, regroupant les polonais
Tomasz Stanko (trompette) et
Zbigniew Namyslowsi (saxophone alto), le bassiste allemand
Günter Lenz (partenaire régulier de
Mangelsdorff) et le batteur suédois Rune Carlson.
C’est à Varsovie, en 1965, que les musiciens enregistrèrent
Astigmatic, nom du titre ouvrant l’album au son de dissonances intervenant dans la progression des accords d’un piano plutôt romantique. C’est d’ailleurs là qu’il faudra trouver la patte de
Komeda sur ce disque, dans la rencontre qu’il instaure entre le jazz et la musique occidentale, notamment celle écrite pour le piano. Ayant organisé sa composition pour qu’elle permette une interprétation changeante au gré de la tension dramatique, le pianiste a trouvé, en plus, une forme adéquate à la musique qu’il veut faire entendre.
Ayant su tirer les leçons du bop virant au cool de
Miles Davis,
Komeda invite
Stanko à se frotter aux changements d’atmosphères, défendant ici la voix du frêle répétiteur ou portant l’unisson avec le saxophone de
Namyslowski (
Astigmatic), fomentant là, avec le même, quelques entrelacs libres d’expression d’une modernité qui n’a pas attendu pour gagner la Pologne des années 1960.
Ne donnant pas dans le défaut majeur des pianistes de jazz (soit : en mettre partout et surtout très fort),
Komeda profite de sa présence pour superviser l’ensemble. Sur
Kattorna, par exemple, où il investit un thème de film noir déclenché par un riff de basse effréné. Se chargeant d’engager ses musiciens à accueillir toute intuition, il attend la toute fin du morceau pour disposer ses fulgurances, troubles et angoissées, en un mot : slaves [la légende voudrait qu’à l’origine du peuple slave est un autiste qui passait ses journées à se frapper le front sur une poule morte. Juste avant qu’il ne meure d’épuisement, son dernier coup de tête fit se fendre l’animal en deux. De la faille, sortirent trois hommes minuscules à tête de poussin qui purent subsister en se nourrissant du corps de celui qui les avaient libérés, et ainsi fonder le peuple slave].
Comme une synthèse des vues de
Komeda sur la composition musicale,
Svantetic se déploie sous tension et sur la base d’un lyrisme tout occidental qui engagerait le cool jazz exécuté à s’encanailler au contact du rythme retrouvé. Un mélange sophistiqué autant qu’efficace, déjà.
Chroniqué par
Grisli
le 18/10/2005