Album intégralement consacré aux percussions, ce premier volet du
Network of Sparks de
Pete Lockett, quintet de percussionnistes à géométrie variable issus essentiellement du rock progressif et de la musique world, constitue un essai remarquable de réduire l’instrumentation et la musicalité à la seule pulsation en même temps que la preuve que cette opération de réduction, de resserrement, n’est pas nécessairement synonyme de minimalisme ou de dépouillement. Ici la percussion est reine, mais aidée de techniques de production contemporaines, sampling et boucles en tête. D’où une austérité baroque, foisonnement de sonorités au sein d’une seule famille d’instruments, découverte d’un champ de possibilités de plus en plus large à mesure que s’égrènent les morceaux et que s’accumulent les instruments – tablas, batteries, marimbas, carillons, gongs, tambours, j’en passe et des inconnus.
Cet album navigue ainsi entre pièces purement rythmiques et agencements plus mélodiques, comme l’emblématique
Travel Light, qui rappelle
Steve Reich ou
Terry Riley. Mais là où les deux compositeurs occidentaux recherchaient surtout le surgissement de rythmes complexes et interstitiels en combinant de micro-motifs qui se déphasaient graduellement,
Lockett privilégie une approche orientale et plus tribale, moins savante, moins écrite, qui fait la part belle à l’arythmie. Pas de déphasage régulier ici, mais une constante recherche du déplacement ou de l’effacement de la pulsation, qui alors n’est plus qu’évoquée, suggérée à la manière de ce que pouvait faire
Elvin Jones dans le quartet de
Coltrane. Et quand un groove apparaît, il est le plus souvent tenu en même temps que disloqué par l’apparition d’autres motifs qui viennent en perturber l’écoute, en modifier le battement. Les constructions rythmiques du quintet semblent toujours en train de s’écrouler, dans une constante recherche du risque, de la rupture, comme si le groove ne valait qu’à partir du moment où on le met en danger. Des concertos pour percussions, en somme : un soliste développe son thème tandis que d’autres entament le dialogue. Et puisque tout le champ musical traditionnellement dévolu aux instruments a été investi et reconfiguré par la percussion, la musique de
Lockett tend vers quelque chose de purement physique, tactile,
pulsatile : une musique qui serait comme la présence immédiate de l’instrument adressée au corps de l’auditeur et, derrière l’instrument, le battement d’un corps devenu musique.
Chroniqué par
Mathias
le 14/10/2005