La musique de
Yellow 6 résonne comme autant de villes fantômes toute prêtes à se désintégrer. Ayez donc le coeur bien accroché avant d'y pénétrer : il s'agit là de l'expression brute d'une désolation immense, désertique, abyssale. Cet album, réalisé après un break de deux ans, est de loin l'un des disques les plus tristes que j'ai rencontré au cours de mon expérience de modeste amateur de musique. Neuf lingots de désespoir 24 carats, s'il m'est permis. Et si j'insiste tant sur la tristesse de ce disque, ce n'est pas pour vous rebuter, lecteurs, pas même pour cacher mon manque d'inspiration, mais bien parce que ce désespoir m'a causé un choc tel, au moment de l'écoute, que c'est pratiquement la seule chose qu'il faudra retenir de ce disque, comme si sa force de désolation éclipsait toutes les autres qualités musicales de ce disque à la production raffinée, léchée, ouvragée comme un sublime suicide de dandy en pleine Sibérie après la fin du monde.
Et si toi, hypocrite lecteur, mon semblable, mon frère, si tu es doté de la même complexion physico-mentale que moi, ce choc, tu l'éprouveras toi aussi. Te voilà prévenu. Et comme le dit
Ally Todd, la chanteuse, sur
Between Two, « The pain inside is bittersweet ». Tu peux te laisser voguer dans ce noir poison qui te fera fondre de l'intérieur, comme si la mort en personne te venait chercher ! Et ne crie pas, peureux, ni ne te désole, car ce n'est que le commencement ! Donc tu es entré dans
Melt InsidePacific Rough, chanson bizarre, quelques accords de guitare cristallins et fantomatiques comme ta bien-aimée morte depuis peu d'une maladie rare et étrange qui l'a peu à peu glacée jusqu'à te la voler, et tu écoutes les étranges paroles. Enfin tu arrives à
Between Two, chanson d'amour spectral qui te rappelle la même bien-aimée, car tu sais que l'amour, tu n'y gouteras plus de ton vivant. Puis tu arrives à
Solone dont les accords majeurs te redonnent presque courage et foi en la vie (mais tu sais que cela ne durera pas, car tu es l'éternel damné), quelques arpèges et une rythmique discrètement martiale. Tu te laisse glisser sur ces rivages empoisonnés, ces grèves mouillées de pluie quand le soleil ne perce pas à travers les épais nuages. Tu voudrais insulter Dieu, car voilà qu'arrive
Never Stay Too Long, qui te fait à nouveau sentir, comme si l'on enfonçait en ton sein un fer incandescent,
et pourtant glacé, le néant de ta pauvre vie, l'injustice de Dieu, le silence des sphères vouées à s'éteindre à tout jamais, un jour. Ne crois pas être là pour assister à ce jour misérable. Mieux vaudra pour toi jeter une oreille sur les nappes de guitares presque
ambient de
STHLM et
As Seen From Above, qui apporteront quelque baume à ton coeur meurtri, sans pour autant effacer le souvenir des douleurs passées. Car quand consolation et respiration il y a, quand tu ne suffoques plus, enfin, tu peux respirer !, eh bien tu gardes toujours le pressentiment des douleurs à venir, des vieilles blessures et des cicatrices mal refermées qui tâchent ta peau comme les escarres de la lèpre.
Enfin, tu sortiras de ce long suicide musical par l'évocation de l'ennui d'un long samedi, du retour des morts (les morts ne sont bons qu'à revenir, tu le sais bien !) et de
Ten, chanson-épilogue. Je laisse donc le pastiche, lecteur, pour te laisser juger : assurément cet album n'est pas pour toutes oreilles, tant sa tristesse sait glacer le sang. Un disque bien produit, des chansons bien écrites et complexes, uniquement pour dépressifs et amateurs de dépression. Trève de plaisanterie, que l'on soit amateur ou pas d'une telle tristesse, il faut saluer la capacité de ce disque à ébranler et retourner les oreilles innocentes. Quelque chose qui réalise le rêve d'Artaud, la Cruauté, transmission nerveuse et purement physique d'un choc, d'une terreur anonyme et sans visage. Ce qui suffit à distinguer Yellow 6 de ses congénères
cold rock, vers le haut, bien sûr.
Chroniqué par
Mathias
le 06/10/2005