Explains Freedom par
Porn Sword Tobacco, titre étrange, alliant une certaine abstraction, comme une idée ou un concept (expliquer la liberté) à un nom qui relève davantage du collage concret d'entités étrangères les unes aux autres : pornographie (l'ère du temps, à ce qu'il paraît), épées et tabac. Si je me vois en ce moment même obligé de gloser le titre, c'est parce que ce disque n'offre d'abord aucune prise à l'appréhension critique, lisse, flottant, presque désincarné dans sa blancheur grise, dilaté, informel, son titre est en quelque sorte le seul repère qui m'est donné pour y entrer, la seule porte d'entrée. Peut-être trompeuse.
A priori, dans cette musique, rien de l'humour qui a réuni en un même segment de phrase
Porn,
Sword et
Tobacco. L'explication de la liberté, elle, est peut-être dans cette absence de forme qui fait de ce disque une structure libre, indéterminée, capable de mêler des synthés eighties réhaussés de quelques basses (
Eudaimonia) à quelques îlots-notes de piano égarés et heurtés de vagues synthétiques (
Praying with Benny) à des réminiscences électroniques de la
Mondschein Sonate de
Beethoven, quasi citée ici (
Watts Tower). Surtout, une superficialité d'ensemble qui devient principe de composition, une volonté opiniâtre de rester à la surface de ce qui est proposé, de ne jamais développer les idées ni les creuser, mais de les répéter dans un doux confort, dans une berceuse, dans un glissement lent d'un titre à l'autre. Superficialité qui n'est en aucun cas discriminante ou gênante à l'écoute, tant elle semble s'ériger en style.
En somme, on a le sentiment d'avoir affaire à un album de
Domotic (au choix, allons-y pour
Ask For Tiger) qui n'aurait pas été déconstruit et aurait été dépouillé jusqu'à son point extrême, jusqu'à ce qu'il ne reste plus de lui que les quelques samples arrachés au réel et servant de fondations concrètes aux morceaux (
Dina Uptäckter Ritar Kartan). Pas de traitement laptop de choc ici, plutôt des constructions qui semblent sorties d'un empilement vétuste, rustique de synthés analogiques et sampleurs lo-tech. Cet album s'étend donc comme une nappe d'huile, et apporte sa sensation de demi-sommeil avec lui, ses morceaux minimalistes se trouant assez régulièrement de plages ambient, c'est-à-dire, au sens propre, de musique environementale faite de quelques sons, pas vraiment identifiables, appartenant au monde extérieur, et remontés dans un ordre secret (
Dina Uptäckter Ritar Kartan,
Carl Zeiss Driving to Work,
Ta Med Skogen Hem et ses bruits de pluie,
Freedom Commercial et ses chants d'oiseaux).
Dans sa volonté de se maintenir dans l'absence totale de groove, dans la nuance, le gris, la demi-teinte et le clair-obscur, dans ses accents nostalgiques aussi (qui vont jusqu'à faire imaginer l'instrumentation d'antiquaire rêvée ci-dessus), cet album est résolument romantique, au sens premier du mot, dans une espèce de réaction contre le monde extérieur, de claustration à demi-révoltée et silencieuse, dessinant un monde pluvieux, nuageux et naturel troué d'éclaircies synthétiques, un de ces paysages de campagne nippone que l'on peut apercevoir dans le cinéma japonais contemporain, campagne perdue sous la pluie que traversent des personnages mutiques pédalant sous de longues capes. On se tient au bord du cliché, mais c'est que cet album est capable d'engendrer de telles images issues d'un imaginaire collectif sur le mode mineur.
Nous voilà donc en présence d'un album intégralement contemplatif, qui ravira les amateurs du genre, pourra repousser ses détracteurs, mais aussi, pourquoi pas, intéresser les plus curieux : en écartant les couches de brouillard qui le dissimulent, on découvre une vraie sensibilité, une touche personnelle, une désuétude, quelque chose d'un peu flou mais qui mérite à tout le moins une oreille amie.
Chroniqué par
Mathias
le 18/09/2005