C’est avec une certaine circonspection de néophyte que l’on aborde l’album de
Neutral Milk Hotel,
In the Aeroplane over the Sea : avec Ben Reed Parry (
Arcade Fire), Bob Hardy (
Franz Ferdinand) , et Dan Snaith (
Caribou) comme inconditionnels et caution de goût pour communiqué de presse, cet album fait d’abord les frais de la méfiance qui anime tout chroniqueur saturé de name-dropping promotionnel souvent inopportun. Mais passée la prudence légitime, lorsque l’on apprend, en outre, que Jeff Mangum, qui est derrière ce projet, a été l’un des piliers fondateurs de Elephant 6, label qui abrite notamment la pop psychédélique très recommandable de
The Olivia Tremor Control ainsi que les projets
Apples in Stereo,
Of Montreal, les réticences tombent, et l’écoute a tôt fait de chasser le scepticisme initial : l’on comprend pourquoi Domino a souhaité rééditer cet album paru en 1996, et devenu pour beaucoup, et non des moindres comme on l’a vu, culte.
Mais entrons dans le vif du sujet, et cela semble d’abord aisé, tant les premières notes de
In the Aeroplane over the Sea s’offrent d’emblée, sincères, à travers le chant de Jeff Mangum: sur de francs accords folk à la guitare acoustique, l’homme découvre sa voix. Mais c’est véritablement sur le second titre,
The King of Carrott flowers Pts Two & Three, que celle-ci dévoile à l’auditeur toute sa faconde émotive et étrange, sans grand souci de justesse : Mangum module à tue-tête un « Jesus Christ I love you, Yes I do » définitif, sur une nappe non identifiée (orgue? accordéon?) réhaussée de guitare électrique répétitive, avant que des trompettes approximatives s’en mêlent, le morceau se transformant progressivement en gros cirque rock, guitare fuzz endiablée et batterie furieuse à l’appui. Bon. Ce ne sera pas simple.
Il sera en effet question sur ce disque de surprises (heureuses), mais d’irritations aussi, au début, causées par l’impression tenace que cet album demeure hostile à toute saisie synthétique, à toute possibilité pour le public de se dire, à un moment ou un autre, avec satisfaction : je crois savoir ce que Jeff Mangum a voulu faire, et me dire. Les paroles cryptiques de
In the Aeroplane over the Sea semblent d’ailleurs le manifeste de ce mystère reclus en soi, tant elles échappent au sens pour l’auditeur, évocations d’un monde de violence onirique et intime, de fantasmagories personnelles inaccessibles. Pourtant, au fil des écoutes, cette résistance devient précieuse, et l’on accepte de se laisser porter par cette langue inconnue, attentif avant tout aux inflexions douloureuses de cette voix libre, au-delà de toute convention, si expressive et parfaitement à son aise dans cet univers loufoque où les instruments les plus improbables servent une irréalité douloureuse, bouleversante.
La scie musicale de
In the aeroplane over the sea, comme le souffle glacé d’un fantôme, l’émo-fiction acoustique de
Two-Headed Boy, traversée du chant non retenu de Jeff Mangum, ravissent.
The Fool, qui lui succède, possédant la pesanteur solennelle d’une marche funèbre, nous saisit.
Oh Comely, magnifique ballade acoustique guitare-voix ornée dans les derniers instants de cuivres qui viennent souligner le chant écorché de Mangum, est à citer également, comme l’un des moments clefs de cet album qui tisse sa bizzarerie aventureuse avec une sincérité précieuse.
Le "folk fuzz" (dixit Jeff Mangum) hors normes de
Neutral Milk Hotel, suscite réactions épidermiques d’amour profond ou de rejet, mais s’accommode difficilement d’un tiède juste-milieu. Le tour de force musical que constitue ce disque des années 90 est de toute façon à découvrir ou redécouvrir. Quitte ensuite à choisir son camp.
Chroniqué par
Imogen
le 03/09/2005