Défenseur remarquable du premier free jazz new-yorkais, le saxophoniste
Charles Brackeen aura édifié sa carrière sur un amas d’heures somptueuses et de zones d’ombre. Entre des collaborations avec
Don Cherry,
Charlie Haden ou
Paul Motian, des silences se sont imposés, radicaux et étranges, jusqu’au retour en tant que leader, dans les années 1980, pour le compte du label Silkheart.
Aujourd’hui réédité,
Worshippers Come Nigh est sans doute l’album le plus à même de prouver aux dubitatifs stoïques le talent excentrique de
Brackeen. Aux côtés de musiciens accomplis, il mène un enregistrement iconoclaste, qui alterne les morceaux tourmentés et les motifs chatoyants.
Car, si c’est bien dans les vieux pots cubains qu’on fait la meilleure soupe exotique,
Brackeen, en connaisseur, préfère les nectars. Ainsi, la langueur tropicale de
Bannar assied un lyrisme confronté aux facéties du cornettiste
Olu Dara, quand
Cing Kong convie un Extrême Orient qui, d’évocation, devient prétexte aux phrases impeccables de solos distribués
Plusieurs fois, les thèmes sont joués à l’unisson. Histoire, sans doute, d’affirmer l’importance d’interprétations souvent bousculées : par des interventions échevelées (la contrebasse de
Fred Hopkins sur
Ible), ou par quelques décalages instrumentaux aux portes du free (
Tiny Town).
Dans les phases de concentration comme de dépression, l’ensemble est indéniablement porté par la batterie d’
Andrew Cyrille. Discret et sophistiqué, il fait de ses interventions le liant efficace de l’entier enregistrement. Indéfectible, même : à la fois sage, ingénu et irrévérencieux,
Worshippers Come Nigh se moque avec emphase de l’épreuve du temps. Jusqu’à la faire disparaître.
Chroniqué par
Grisli
le 09/05/2005