"Why, if God is good, is there evil in the world ?". On sait pas. Ce qu'on peut te dire en revanche, c'est que si tu cherches le côté obscur, le disque dont il est question dans ces lignes présente une sélection impressionnante de grooves plutôt dark.
L’Ecoute Brouillée est un puzzle qui combine les dernières références en matière d’abstract hip-hop, ainsi que d’autres classiques à beats assimilés. Au niveau du choix des morceaux, la galette évoque un concept type « 18 tracks à emporter sur une île déserte », sur un CD-R / compilation maison. Tandis que l’enchaînement, la construction de cette mixtape (mixskeud en réalité !) viennent plutôt de l’idée des mixs à thèmes. Mais ici, plutôt qu’un postulat du style « électro-musette after hours » ou « music for kids », il s’agit de capter l’esprit et la substance d’une démarche électronique à laquelle contribueraient aussi bien
Company Flow que
Troublemakers. Malgré la largeur du spectre de ce dernier groupe au précédent, la progression se tient en pratique. Un sans-faute qui évolue dans un climat homogène (mais jamais trop linéaire grâce à la qualité des compositions).
La cohérence est par ailleurs renforcée par les interventions généralement inspirées d’un Legat’O plutôt modeste. En effet, celui-ci intervient peu, en comparaison des démonstrations standards dans cet exercice (ces « streets tapes », orgies de cuts, scratchs, et autres beat-junglings sur fond de party breaks, qui ne laisse finalement que des snippets de la tracklist annoncée). Outre les ajustements de pitch, il appuie le propos de parasitages, interférences et autres brouillages typiques du vocabulaire électro / abstract.
Ailleurs, il y va de quelques samples a capella, notamment sur les blends où les mots de
Jim Morisson – ceux de
Bird of prey déjà utilisés dans un hit de Fatboy Slim – jouent un versus avec le beat d’
Adlib (en fait l’Américain Thavius Beck, croisé chez Mush) ; ou encore quand le vocal de
Sage Francis est posé sur du
Troublemakers. Voilà des mariages bien sentis, mais on est plus circonspect sur l’ambiguïté d’un autre, qui réunit l’émouvant
Heart Miser de
Massive Attack et un discours politique jouant sur la corde sensible, par… George W. Bush. Après les dérapages politiques que l’on connait, l’ambiance dramatisante et sensible de la musique est déconcertante : on n’y trouve pas le recul ou la dérision nécessaire…
A la faveur de la suite, on oublie vite ce bémol (malgré quelques échos du
We can ban the taliban regime qui viendront ponctuer certaines transitions) : au rayon bonnes surprises, on croise notamment
Boards of Canada, une comptine crépusculaire et hypnotique signée
Syrupy, et la troisième partie de l’épique
Boxcutter Emporium de M.
Sixtoo.
A-Threed, membre du crew de Legat’O (
Hipnotik), participe aussi à l’édifice avec les scratches bien sentis sur fond de
Robert le magnifique. Le final emporte l’adhésion :
Cujo (premier pseudo d’Amon Tobin) avec un track de drum sombre et racé (qu’on connaissait sous le titre
Northstar et ici étrangement noté
The Light) ; puis le
Like Spinning plates de
Radiohead en point d’orgue.
Une sélection très judicieuse de classiques abstract (ce qui limite l’intérêt pour les amateurs du genre et/ou lecteurs assidus d’Infratunes, qui ont déjà tout dans leur discothèque) dans une continuité bien entretenue, recommandée aux amateurs de voyages dans l’abstraction narrative, et encore plus chaudement, à tous ceux qui souhaitent s’initier à une frange passionnante des musiques électroniques
Chroniqué par
Guillaume
le 14/07/2004