Le retour de l’enfant prodigue. Difficile d’éviter pareille comparaison pour décrire la sortie du second album de
The Streets, au regard du battage médiatique qui gravite autour de
Mike Skinner depuis le succès inattendu d’
Original Pirate Material. Proclamé à son insu comme le sauveur d’un hip-hop britannique pas si en danger que ce que l’on pourrait croire, l’unique membre de
The Streets doit ainsi relever le défi de combler l’attente de plusieurs millions d’auditeurs tous plus impatients les uns que les autres. Quelques jours à peine après la mise sur le marché de
A Grand Don’t Come For Free, difficile de nier que
Skinner a réussi son coup. Une remarque qui, je vous l’accorde volontiers, ne nous renseigne en rien sur le contenu de l’album en question.
Venons-en donc au fait. Si vous avez eu l’occasion d’écouter le maxi
Fit But You Know it, vous devez certainement vous douter que
Mike Skinner a considérablement élargi ses influences, pour intégrer à ses compositions une bonne dose de pop façon
Blur, de ragga et de soul dans une perspective very british. Ainsi, hormis les accords électriques du titre précité, on rencontre ici et là du piano, des cuivres, une guitare accoustique et des batteries très feutrées, qui contribuent à créer un son plus deep que sur
Original Pirate Material. Une formule qui fonctionne plutôt bien sur les agréables
Could Well Be In et
Dry Your Eyes, mais qui devient réellement pénible avec
Wouldn’t Have It Any Other Way, dont les arrangements ne sont pas sans rappeler une ballade r'n'b miélleuse dont
R. Kelly a le secret. Mais
Mike Skinner se rattrape toutefois avec les réminiscences rave de l’excellent
Blinded By The Lights, les lignes de basses et les cuivres du puissant
Not Addicted, et surtout avec le beat épuré de
The Empty Cans, petite perle de hip-hop ambient, combinant longues nappes atmosphériques, intermèdes au clavier et discrets samples urbains sur une batterie bien marquée.
Ce minimalisme déstructuré sert évidemment la plume de
Mike Skinner, qui relate à nouveau ses promenades nocturnes au cœur de Birmingham, ses soirées sous les spotlights, ses déboires en tout genre, sa tendance à s’enfumer devant sa télévision et, surprise, sa relation amoureuse. Véritable écho revenant sur pas moins de trois titres, ce sujet aère le disque tout en l’alourdissant sur
Wouldn’t Have It Any Other Way et son refrain on ne peut plus cliché («She’s the best thing that ever happend to me and I don’t know what I do without her»). Un bémol qui s’avère assez récurrent, rendant la plupart des parties chantées de
A Grand Don’t Come For Free parfois difficiles à supporter sur toute la longueur du disque. Excepté ces quelques légers faux-pas,
Skinner parvient toutefois à retranscrire avec talent les ambiances qui lui tiennent à cœur, en privilégiant son flow posé et coupé au couteau qui le rend reconnaissable entre mille. En témoigne l’alchimie qui se dégage de morceaux comme
Blinded By The Lights ou encore
The Empty Cans, où le débit sentencieux de
Mike Skinner donne toute sa dimension à ses couplets d’alcoolique reclus. Enfin, inutile de préciser que le disque est essentiellement construit autour d’un slang parfois difficilement accessible pour nos petites oreilles de francophones, demandant ainsi un effort de traduction considérable pour être apprécié à sa juste valeur.
En quelque sorte, ce nouvel album de
The Streets se détache considérablement du son UK garage d’
Original Pirate Material pour s’aventurer vers des horizons à la fois plus travaillées et plus vulnérables que par le passé. Une fois ce revirement digéré,
A Grand Don’t Come For Free se dévoile peu à peu comme un disque plaisant, porté en avant par la qualité générale des textes et du phrasé de
Mike Skinner, dont l’assurance a considérablement augmenté durant ces deux dernières années. Cependant, la production moins novatrice et l’orientation définitivement plus pop de ce second opus risqueront de décevoir certains d’entre-vous, étonnés de ne pas retrouver cette odeur nauséabonde qui a fait le succès des premiers travaux de
The Streets. Et ils n’auront pas tout tort, car à l’écoute de la majorité des instrumentales de
A Grand Don’t Come For Free, je dois avouer que les rues de Birmingham ne m’ont jamais parues aussi propres…
Chroniqué par
David Lamon
le 29/05/2004