Successivement annoncée puis repoussée depuis de nombreux mois, la collaboration entre
Madlib et
MF Doom inonde enfin les bacs, peu après qu’un maxi de très haute facture et qu’une version pirate du disque aient porté le buzz à son paroxysme. A peine le temps de se rendre compte que l’objet est bel et bien entre mes mains et le verdict tombe aussi sec :
Madvillain ont réussi un véritable tour de force, celui de ne pas décevoir un public qui attendait tout simplement un album quasi-parfait.
Car depuis plusieurs années,
Madlib et
MF Doom ont délivré quelques uns des plus grands classiques en matière de hip-hop indépendant, que ce soit respectivement avec
The Unseen ou
Operation Doomsday. Sans rougir face à ses illustres prédécesseurs,
Madvillainy se déguste comme une superbe synthèse des éléments qui ont assuré leur succès et leur pérennité. Ainsi, la production a hérité du côté inquiétant et faussement bancal cher à
MF Doom, constamment rehaussé par les samples jazzy, les lignes de basse généreuses et les scratches de
Madlib. La magie opère instantanément sur le speedé et explicite
America’s Most Blunted, en compagnie de l’excellent
Quasimoto, et sur l’envoûtant
Figaro, titre lo-fi où
MF Doom laisse tranquillement dérouler l’ampleur de son talent («The rest is empty with no brain but the clever nerd , the best MC with no chains you ever heard»). Au rayon des agréables surprises, impossible de passer à côté de l’accordéon déstructuré de
Accordion, du jazz laid-back de
Bistro ou encore de l’orgue baroque de
Curls. Enfin, les interludes instrumentales et vocales de
MF Doom achèvent de parsemer le disque de temps-morts de super-héros dont il a le secret depuis ses débuts de producteur masqué.
Au micro,
MF Doom confirme également son statut de mc d’exception, à l’aide d’un flow en constante évolution, se situant entre un spoken-word nonchalant et un débit plus saccadé selon les boucles mises à sa disposition. Niveau lyrics,
Madvillainy fait la part belle au storytelling de l’intéressé, qui s’offre quelques délicieux détours d’egotrip bien trempés. Citations en bataille : «I-C-E cold, nice to be old / Y2G steed twice to threefold / He sold scrolls, lo and behold / Know who's the illest ever like the greatest story told», «His assistant said: "Doom, you sick" he said: "True blue acoustics" / Psycho, his flow is drowned in Lowry seasoning / With micropower he's sound and right reasoning», ou comment afficher sans fioriture dix ans de métier au compteur... De plus, les deux compères profitent de leur schizophrénie pour inviter leurs alter-ego respectifs, à savoir
Quasimoto et
Viktor Vaughn, et mettent à contribution leur carnet d’adresses en s’offrant les services de
Wildchild et
Medaphoar le temps d’un
Raid haut en couleurs. Seule la présence de la chanteuse
Stacy Epps sur le passable
Eye détonne un peu, constituant ainsi un des seuls bémols majeurs d’un album définitivement réussi.
Au final,
Madvillainy confirme donc les espoirs qu’il n’a cessé de susciter, grâce à vingt-deux titres à la fois avant-gardistes et nostalgiques, récupérant le son étouffé et brut des classiques pour l’amener vers des arrangements d’une grande diversité. Peut-être l’ancêtre du hip-hop, le futur du jazz ou encore la face caché de la lo-fi, mais sans conteste un solide prétendant au titre de meilleur album de l’année 2004.
Chroniqué par
David Lamon
le 24/05/2004