Peu après avoir créé la sensation en rééditant l’excellent
Asphalte Hurlante, le label Kerozen music réalise un nouveau tour de force avec la sortie du très attendu premier album de
L’Armée des 12, collectif gravitant autour de
Saphir le Joaillier et des membres de
TTC et de
La Caution. Projet d’envergure implicite, ce
Cadavre Exquis concrétise les rares apparitions du groupe sur les diverses mixtapes émergeant de l’underground parisien, en présentant 17 titres qui sont presque autant d’occasions de se réjouir, pour une fois, de l’avenir du hip-hop français.
D’entrée, impossible d’échapper à la qualité des beats essentiellement concoctés par
Nikkfurie et
Tido Berman, qui parviennent à donner au disque une structure aussi solide que diversifiée. En effet, les ambiances se succèdent sans le moindre accroc, passant des véritables tubes en puissance (
L’ascenseur et le très bounce
Gin et jus) à des productions nettement plus obscures (
Ils m’observent,
Encre sanguine,
Cavale sans issue), tout en intégrant d’agréables clin d’œils aux classiques du genre (
Delirium 84 et le beatboxé
Bouche à oreille). Enfin,
Para One livre sur commande la véritable perle de l’album avec l’électronique
Hélium liquide, et
DJ Fab se charge d’introduire et de conclure le tout à grands coups de scratches appuyés.
Reste à traiter de la difficile intégration des six rappeurs à cet impressionnant édifice musical, tant la logique de collectif élargi a déjà pu alourdir d’excellents travaux de production par le passé. Dans le cas de ce
Cadavre Exquis, toute crainte est rapidement balayée par la qualité et la complémentarité des MC’s de
L’Armée des 12, caractéristiques qui prennent toute leur dimension sur les impressionnants
Encre sanguine,
Les 12 ou encore
Ils m’observent. Au beau milieu de cette avalanche de flows se singularisent immédiatement les fortes individualités de
Cuizinier, dont le débit de coureur de fond ne cesse d’évoluer au fil des titres, et surtout de
Texilatex, défiant toute loi de la gravité rapologique à l’aide d’un vocoder sur le superbe
Hélium liquide. Titre phare de l’album, la production inspirée de
Para One accueille à merveille l’écriture symbolique de
Texilatex et les allégories urbaines de
Hi-Tekk, confirmant par là la forte teneur des textes de
Cadavre Exquis, se situant toujours aux frontières de la confession et de l’ego-trip, sans oublier d’y inclure une écriture narrative fortement décalée et caractéristique des membres de
TTC (
Cavale sans issue et l’hilarant
Un séducteur de trop dans la crackzone). Seuls les dispensables
Néons et pierres précieuses et
Strictement inutile, invitant respectivement
Buck 65 et
Octobre rouge, font légèrement baisser la pression sur la fin du disque, brillamment rehaussée par un remix dévastateur de
Delirium 84.
Véritable réunion de talents en tout genre, ce
Cadavre Exquis synthétise ainsi à merveille les innovations qui ont caractérisé les précédents travaux des membres de
L’Armée des 12, tout en dépassant les fortes individualités du groupe pour constituer un album d’une qualité indéniable. Plus qu’un simple manifeste de la révolution musicale opérée par les compères de
Tekilatex et au-delà d’une volonté gratuite de décalage artistique,
Cadavre Exquis s’apprécie avant tout comme une véritable bouffée d’air frais pour quiconque désire bouger ses cheveux sur un disque de qualité. Car comme le rappelle si bien
Tido Berman, «
L’Armée des 12, qu’est-ce que ça groove ! »
Chroniqué par
David Lamon
le 19/04/2004