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Florilège musicopathe

: #9: Exutoire



Par décence et car les temps d'aujourd'hui ne sont guère aux rêvasseries après les drames du 13 novembre dernier, il n'y aura pas de seconde partie au florilège Daydreaming entamé le mois dernier. De la musique par contre, il y en aura 2 fois plus...

Il y a d'abord eu un premier florilège consacré à quelques musiques rêvassantes attendant une suite (Daydreaming). Puis il y a eu les drames effroyables du 13 novembre dernier nous ayant profondément affectés. La réalité d'une guerre qui avance sans dire son nom nous empêche de dormir et encore moins de rêver. Elle nous rappelle aussi la fameuse phrase de Paul Valéry: "La guerre est un massacre de gens qui ne se connaissent pas, au profit de gens qui se connaissent mais ne se massacrent pas". Il n'y aura donc pas de seconde partie mais quelques "abominations" en lieu et place, pour reprendre un terme utilisé dans le communiqué de ces martyres ne craignant pas le chaos. "Le martyre, c'est le seul moyen de devenir célèbre quand on n'a pas de talent" disait quant-à-lui Pierre Desproges. Il n'y aura pas d'analyses géopolitiques non plus, l'endroit d'un site exclusivement dédié à la musique ne s'y prêtant pas. Mais écrire sur cette dernière nous questionne forcément sur le rapport que l'on entretient avec elle dans les moments durs. Si la musique ne fera pas revenir ceux qui sont partis, elle essayera toutefois d'apporter un refuge, un remède voire un exutoire à la douleur incommensurable de ceux qui sont restés: les endeuillés. Et nous sommes tous endeuillés par une telle tragédie. Ainsi on espère que la musique pansera les plaies. Qu'elle nous aidera aussi à mieux apprivoiser la peur puisqu'il va certainement falloir vivre avec. Qu'elle continuera surtout à mettre de la couleur dans nos vies se drapant de noir, la noirceur de l'obscurantisme en partie. Et aujourd'hui, c'est peut-être trop en demander, mais on souhaiterait recevoir deux fois plus de couleurs, car aujourd'hui on a besoin de vivre deux fois plus intensément.

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The Dodos - Individ (Morr Music)

Ce n'est pas parce qu'un groupe passe de trio à duo qu'il perd forcément un atout. Avec ce dernier album sans faille, le groupe d'indie pop californien The Dodos vient clairement en témoigner. En neuf chansons étonnement péchues alliant les doubles vocalises des Beach Boys, l'énergie du rock indé à son meilleur et les rythmiques alambiquées du maths-rock, The Dodos sort les griffes et montre toute l'étendue de son talent d'alchimiste alors que l'on pensait entendre un groupe sur la pente descendante. Il suffit d'entendre le feu d'artifice final Pattern/Shadow pour s'en convaincre: le groupe en a encore dans le moteur. Séance de rattapage ici.

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Troum & raison d'être - De Aeris in Sublunaria Influxu (Essence Music)

Composé essentiellement de longues pièces instrumentales évoquant à la fois les cauchemards Lynchiens et les atmosphères de post-apocalypse Tarkovskiennes, De Aeris in Sublunaria Influxu projette par sa musique des images de noirceur presque cinématographiques et sans pareille. Cet album pourrait même donner une bonne définition de ce que pourrait être l'extension du domaine du chaos. Si on aime s'y plonger sans bouées de sauvetage, on ne ressort quand même pas tout à fait indemne du drone ambient à faire trembler les murs (et les voisins avec) que livre ce trio germano-suédois formé ici pour l'occasion. Adeptes de la musique dark, courez-y.

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Vainio & Vigroux - Peau Froide, Léger Soleil (Cosmo Rhythmatic)

Que ce soit sous son propre nom Mika Vainio, sous le pseudonyme Ø (le joyau noir Konstellatio sorti l'année dernière) ou sous diverses collaborations (Äänipää), l'ex Pan Sonic continue de creuser le sillon d'une musique électronique minimaliste, exigeante et d'une énergie opaque. C'est aujourd'hui avec le guitariste et compositeur français Franck Vigroux qu'il revient donner corps à sa matière sonore reconnaissable entre mille. Fidèle à lui même, il offre avec Peau Froide, Léger Soleil un album formé de fragments disparates venant s'éclater les uns contre les autres, un album d'une radicalité imposant toujours autant le respect.

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Le Berger - Music for Guitar & Patience (Home Normal)

Souvent enseveli sous d'innombrables sorties d'albums, nous avons parfois du mal à faire le tri et à hiérarchiser les données reçues. A vrai dire, nous ne sommes pas programmés pour ça et l'on aime se poser. Il nous faut souffler un peu et revenir vers quelques disques dont on sent qu'il y a encore des sensations nouvelles et intéressantes à tirer. Ce magnifique album de Le Berger fait partie de ceux-là. Comme certains artistes tel Oren Ambarchi ou Lawrence English, Le Berger utilise la guitare électrique comme principal matériaux et brode de longues tapisseries ambiantes à la beauté statique assez remarquable. La patience étant peut-être la clé pour encore mieux les apprécier. L'album est déjà sold out mais on peut l'écouter dans son intégralité à cette adresse.

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Benoît Pioulard - Noyaux (Morr Music)

Après le bel album ambient Sonnet sorti en début d'année chez Kranky, l'américain Thomas Meluch revient sur Morr Music avec un Ep de quatre pistes cette fois-ci moins granuleuses et plus proches des compositions immaculées et lancinantes que propose Stars of the Lid, plus particulièrement celles de leur dernier grand disque And Their Refinement of the Decline (2007). Quelque part entre le tout et le rien, la beauté de la musique offerte sur Noyaux se définit difficilement car son abstraction nous échappe en partie. Georges Braque disait que "le vase donne une forme au vide, et la musique au silence", on ne saurait lui donner tort à l'écoute d'un tel disque.

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Erik Griswold - Pain Avoidance Machine (Room40)

Avec cet album sorti sur le label de Lawrence English, l'artiste Erik Griswold travaille le corps du piano pour en extirper des mélodies métalliques, vibrantes et dissonantes comme autant de berceuses défectueuses nous ramenant à l'album Drukqs d'Aphex Twin. Pain Avoidance Machine enchaîne ainsi de courts fragments utilisant souvent le même mécanisme. En résulte un album conceptuel étrangement beau et dont le seul défaut serait d'être trop fourni: 15 morceaux au total dont peut-être un tiers de trop, ce qui réduit inévitablement la portée du propos.

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Paul de Jong - IF (Temporary Residence)

Plus connu pour être la moitié du groupe new-yorkais (feu) The Books, Paul de Jong nous prouve sûrement avec IF qu'il était avant tout le mélodiste du duo bicéphale plutôt que sa tête chercheuse. Il délaisse ici les collages savants parfois hystériques de l'excellent The Way Out (2010) au profit de morceaux instrumentaux faisant la part belle aux instruments, guitares et violons en premiers choix. Les samples de voix ne sont pas pour autant exclus mais sont relégués ici en second plan. Pour l'aspect folklorique de l'ensemble et la manière qu'il a d'agencer ses coupes, IF fait parfois penser à Matmos, notamment leur album The West. Cette escapade en solo reste en tout cas un bel essai dans un genre pop avant-gardiste de grande classe comme il s'en fait hélas trop peu.

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Zelienople - Show Us the Fire (Immune)

Discrétion, pudeur et modestie sont les rares qualités animant ce précieux quator chicagoen marqué par le Talk Talk de la fin et à ranger du côté de Gravenhurst et du regretté Nick Talbot. Si Zelienople va nous "montrer des flammes", ce sont celles d'un feu noyé dans le blues aqueux de leurs compositions semi éveillées. Au fil d'une discographie déjà riche de huit albums depuis 2002, les éléments se déplacent mais sont toujours là: une batterie enlevée, des synthétiseurs vaporeux, des guitares électrisantes, parfois grinçantes, la voix de haute volée de Matt Christensen, tout cela au service de chansons sublimement incantatoires. Comme la majorité de leurs précédentes livraisons, Show Us the Fire est malheureusement passé au travers des radars médiatiques alors qu'il est resplendissant.



par Romain
le 23/11/2015

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