Pour répondre à cette question tordue, je choisirais l'extrait d'un propos du philosophe Alain qui a le mérite de ne pas appréhender la musique sous un angle essentialiste. Bien qu'elles aient été écrites dans un contexte bien particulier - au front en pleine Première Guerre mondiale - et que son auteur avait probablement un tout autre rapport à la musique que nous autres, ces quelques lignes témoignent d'une dimension en quelque sorte anthropologique de la musique, vécue comme une nourriture quotidienne favorable à la tempérance, qui à mon sens peut encore s'éprouver de nos jours.
"Certainement la musique veut émouvoir, et chacun le sait bien. Mais il s'y mêle toujours une curiosité d'intelligence qui détourne aussitôt l'attention, plus ou moins, selon que le musicien se plaît davantage aux surprises, aux imitations, aux variations, enfin à tout ce qui nous porte à reconnaître, et qui fait de la musique un objet qui occupe jusqu'à l'extase. Mais ce plaisir est peu de chose en comparaison de cette évocation et guérison sans cesse, qui nous fait sentir d'instant en instant le bienfait du mouvement réglé et de la cérémonie. Il semble que la magicienne ne rappelle les émotions que pour les apaiser aussitôt. Le musicien, comme le guérisseur, ne fait sentir la douleur que pour la guérir; et comme lui, changeant ses touches, il parcourt le système entier des émotions antagonistes, et nous prouvant qu'elles sont toutes disciplinables, il nous console aussi en espérance."
Alain, "De la musique", dans Eléments de philosophie, Paris, Gallimard, 2008 [1ère édition, 1916], p. 367